• Les premières sculptures africaines en ivoire, exclusivement produites pour être exportées vers l’Europe et conservées dans les cabinets de curiosités...

     Les premières sculptures africaines en ivoire, exclusivement produites pour être exportées vers l’Europe et conservées dans les cabinets de curiosités des souverains, datent des XVe et XVIe siècles. Elles sont désignées sous le terme générique d’ivoire « afro-portugais ». Ces sculptures étaient fabriquées dans deux centres de production, au Sierra Leone (Temne-Bullom) et au Nigeria (royaume de Bénin). Les types d’objets étaient restreints : cornes, cuillères, fourchettes et salières. Certains étaient basés sur des modèles africains (cornes et cuillères), tandis que d'autres étaient inspirés de modèles européens (fourchettes et salières). Après une période relativement courte d'essor de l'ivoire afro-portugais, la création d'objets en ivoire destinés au marché extérieur a connu un arrêt de deux siècles en attendant l'émergence d'un nouveau centre de production.

  • Les ivoires des Vili du Loango doivent leur nom à l’ancien royaume qui fleurit du XVe au XIXe siècle le long de l’actuel littoral du Congo et du Cabinda (Angola). Bien que vaste, le Loango avait peu de pouvoir et était soumis à son voisin influent, le royaume de Kongo. Ce dernier revendiquait depuis le premier contact avec les Portugais, à la fin du XVe siècle, une position dominante dans tous ses échanges avec l’Europe. Au XVIIe siècle, la balance a toutefois penché en faveur du Loango, alors que le royaume de Kongo était en déclin, affaibli par le commerce des esclaves et les conflits entre les peuples. Le Loango est alors devenu le principal acteur dans le commerce des esclaves, jusqu'à son abolition en 1860. Les Européens ont alors quitté le royaume de Kongo pour se tourner vers le riche littoral du Loango.

  • Les ivoires du Loango appartiennent à une catégorie très spécifique d'objets qui matérialisent le contact entre deux cultures. Avec l'établissement de nombreuses maisons de commerce européennes dans la région du Bas-Congo à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la présence européenne était largement visible dans l'art local. Les sculpteurs d'ivoire le long des côtes du Loango observaient le marché et répondaient à la demande en reproduisant les objets et motifs les plus appréciés. Le chercheur hongrois Emil Torday a remarqué lors de sa deuxième expédition au Congo en 1905 que la production d'objets destinés à la vente aux Européens et aux Occidentaux était une pratique bien établie parmi la population africaine.

  • Au XIXe siècle, les défenses d'éléphants finement sculptées en relief, historiquement l'objet sculpté de référence pour la royauté, étaient également...

    Au XIXe siècle, les défenses d'éléphants finement sculptées en relief, historiquement l'objet sculpté de référence pour la royauté, étaient également réalisées sur commande pour les étrangers. Le style de ces défenses du Loango se caractérise par une représentation réaliste et imaginative d'humains et d'autres animaux, de plantes, d'architecture et de symboles traditionnels, généralement en spirale de la base au sommet de la défense entière. Elles étaient produites sur commande pour les étrangers ou les membres de la royauté et/ou des sociétés secrètes. Les thèmes étaient essentiellement séculaires, contrairement à une grande partie de l'art figuratif en Afrique qui traite de préoccupations spirituelles. La plupart des pièces semblent contenir des récits décrivant des événements importants dans la vie d'un roi Kongo ou d'un étranger en visite. Elles possèdent un langage métaphorique imprégné de multiples significations.  De manière générale, les figures individuelles sculptées en relief dépeignent la vie africaine telle qu'elle était à l'époque de leur création.

  •  De manière plus subtile, elles agissent comme des témoins silencieux de la vie des peuples congolais et de leurs interactions avec les Européens au XIXe siècle, représentant des thèmes précis tels que la vie quotidienne, le commerce, la chasse, la flore et la faune locales, ainsi que l'esclavage et les échanges économiques entre les Européens et les Africains, dont l'importation de produits par des caravanes et le transport de défenses d'éléphants.

  • A la même période, les sculpteurs Vili ont commencé à sculpter des figurines en ronde-bosse, en trois dimensions.   Les sculpteurs d’ivoire observaient le marché et s’adaptaient à la demande, sans hésiter à reproduire les objets et motifs qui plaisaient le plus. Inspirés souvent de ce qu’ils voyaient dans les comptoirs, les marchés mais aussi dans les journaux, la plupart des créations traitent de thèmes précis tels que la vie quotidienne, le commerce, la chasse, la flore et la faune locales, et l’esclavage. L’Européen (fonctionnaires coloniaux, voyageurs, commerçants, missionnaires, militaires) et les caractéristiques de sa présence représentaient moins que 10% des objets crées.   J’ai commencé à m’y intéresser en voyant des parallèles avec les netsukes japonais représentant des marchands hollandais.

  • Ces objets se distinguent par leur niveau de détail ainsi que par l’effort de réalisme dans le rendu des personnages, particulièrement manifeste dans les expressions du visage, les bijoux, les tenues vestimentaires.   Cela étant, la distinction entre les Européens et les Africains n’est pas toujours simple à opérer. Les personnages affichent souvent des détails morphologiques mixtes. De plus, les tenues vestimentaires prêtent aussi à confusion, les Africains pouvant être représentés avec une tenue européenne (ou vice versa) ou bien les tenues étant une combinaison des deux styles vestimentaires

  • Plusieurs explications sont possibles.  D’une part, il était fréquent qu’un Africain s’habille à l’européenne sur la côte. L’inverse était plus rare bien que, toutefois, on rencontrât des Européens portant le chapeau et des vestes européennes avec, en dessous, un pagne africain. Parfois, les Européens se reconnaissent aux vêtements propres à leur fonction, comme les tenues des missionnaires et le costume tropical du commerçant.  Ces figurines sont un art de contact par définition mais s’imposent comme une production artistique mûre, d’une richesse iconographique et d’une qualité d’exécution incontestables même s’il n’est pas toujours évident d’identifier les circonstances de leur création, ainsi que leur signification. 

  • References

    - White gold, black hands-Ivory sculpture in Congo. Edited by Marc Leo Felix 2014 

     

    - Martin, Phyllis M. 1972. The External Trade of the Loango Coast 1576–1870: The Effects of Changing Commercial Relations on the Vili Kingdom of Loango. Oxford: Oxford University Press. 

     

    - Samuel, I. (2023) A history of the Loango kingdom (ca.1500-1883) : Power, Ivory and Art in west-central Africa.

     

    - Schildkrout, Enid, and Curtis A. Keim, 1998. The Scramble for Art in Central Africa. Cambridge: Cambridge University Press